Cloud-littérature : posséder, se faire déposséder ou se faire posséder ?

Actualités - Société - Posté on 09 Nov 2012 at 4:09 par Solange Belkhayat-Fuchs

Une bonne raison pour ne pas « craquer » pour une liseuse électronique durant les fêtes de Noël ? La possibilité que possède le cyber-libraire de récupérer sans avertissement ni motif les œuvres légalement achetées par ses clients, déplore le blogueur Martin Bekkelund. Et de citer l’exemple d’une de ses amies qui a vu son Kindle totalement vidé des ouvrages qu’elle avait acquis auprès d’Amazon.

La question ne porte pourtant pas tellement sur un problème de DRM, mais à la fois de sécurité informatique au sens large du terme, ainsi que du droit commercial.

En supprimant à distance (cette fois pas seulement par erreur) ce que l’on pourrait considérer comma la bibliothèque privée d’une personne, Amazon a prouvé que la notion de « livre électronique » n’existait pas, ou plus exactement qu’elle ne pouvait être comparée à celle attachée à un livre « papier ». L’un se loue, l’autre se vend. On peut posséder un livre matériel, le prêter à un ami (voir le donner), le transmettre à un héritier, le revendre même. Pas un livre électronique. L’évolution des usages aidant, accompagnée par la suppression progressive des chaines d’impression, de distribution, de coédition etc., le livre électronique est en train de participer à une véritable révolution que l’on n’attendait pas : la dépossession du patrimoine culturel familial. La bibliothèque de famille n’existera bientôt plus, elle se transformera en un droit incessible, intransmissible et payable à échéance.

Ce modèle est strictement identique à celui que tentent d’imposer de plus en plus les principaux éditeurs de logiciels. Fini, le Windows 98 qui agonise à petit feu sur des machines poussives et impossibles à maintenir. Oubliée, l’antédiluvienne version de Word 97 vendue une seule fois et qui continue de générer les textes d’un informatisé passéiste qui refuse énergiquement les avantages du progrès d’office 2013. Le bon client logiciel, c’est celui qui paye peu, mais souvent. Si possible tous les ans. Et dont les productions écrites sont elles-mêmes prises en otage, quelque part sur le Cloud, sous la menace d’un renouvellement obligatoire d’abonnement.

Si, pour l’entreprise, un tel système peut s’avérer rentable (il existe après tout des plans de continuité d’activité et des contrats sérieux pour le garantir), il réserve encore quelques mauvaises surprises pour la majorité silencieuse des utilisateurs « grand public ». Lesquels sont peu à peu poussés vers un modèle de consommation de contenu éphémère. Le nuage supprime au monde civil la notion de possession de bien pour la transformer en usufruit de service. Pour l’instant, d’appliquettes GooglePlay en romans Amazoniens, de courriels virtualisés en musiquettes MP3isées, l’immense majorité semble s’en accommoder, comme c’est toujours le cas durant une période de transition technologique. Après tout, nous avons aussi sur nos étagères la collection complète des œuvres du Dumas, ou de Balzac, de Pierre Dac ou de Montaigne, de Bobby Lapointe ou de Buxtehude… voire peut-être les bonnes feuilles de Beigbeder ou de Notomb. En sera-t-il de même dans 40 ans ? Le « après nous, le déluge » de cette course aux produits culturels ou de divertissements dématérialisés (et immédiatement accessibles) pourrait bien avoir raison de la poussière des bibliothèques, de leurs « temps d’accès » lents et de leur permanence dans le temps …

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