Google : le syndrome Snowden-Schmidt

Actualités - Analyse - Posté on 20 Août 2013 at 6:07 par Solange Belkhayat-Fuchs

Toute vie privée cesse aux frontières de Gmail. Ce secret de polichinelle, révèlent nos confrères du Consumer Watchdog, n’appartient plus au domaine de « l’opinion » ou de la suspicion mais à celui de la certitude juridique. « People should not expect privacy when they send messages to a Gmail account » ont affirmé les avocats de l’entreprise devant une cour fédérale US à l’occasion d’une tentative de procès collectif portant précisément sur cette atteinte à la vie privée.

Ce qui, en temps normal,n’aurait pu attirer l’attention que d’un journal de défense des consommateurs prend une toute autre dimension à la lumière des évènements passés. Elle nous rappelle en premier lieu le peu de cas que l’ancien timonier de Google faisait de tout ce qui se rattachait aux informations personnelles comme nous le rappelait le Huffington Post il y plus de trois ans : seuls les criminels ont quelque chose à cacher sur Internet, les personnes ne souhaitant pas voir la photographie de leur maison sur Google Street peuvent déménager… Les petites phrases du bon docteur Schmidt avaient, en leur temps, fait les grands titres des quotidiens. Ce n’était alors que des mots dépassant parfois la pensée de son auteur croyait-on. Jamais l’on n’aurait pu imaginer, à la lumière des révélations Prism/Snowden, à quel point elles étaient empreintes d’un certain cynisme. Si les Internautes ont la mémoire courte (comme doivent l’espérer bon nombre de grands opérateurs de services compromis par les fichiers Snowden), Internet lui-même a la mémoire longue, et le « droit à l’oubli » des petites phrases et des petits actes des grands hommes du monde IP ne s’évanouissent pas avec le temps. Rappelons que déjà un souci du flicage fit couler de l’encre à l’époque et ce, encore sous la férule du Docteur Schmidt lors du projet « Digital Me » de Novell (bien avant le rachat Attachmate). En un temps où le rêve avoué était d’unifier, dans le monde entier, les fichiers médicaux, la carte d’identité numérique, les informations bancaires dans une seule et unique carte à puce à l’aide d’un formidable annuaire distribué. C’était l’époque bénie du boom des annuaires universels, du grand combat entre Microsoft Passport et OpenID et du désir de fichage universel envisagé par les éditeurs de logiciels. On frémit à l’idée de ce qu’aurait pu en tirer Prism …

Un Prism qui, en l’espace de deux mois, a pratiquement su se faire oublier. Les titres des journaux grand public ne considèrent les « révélations » d’Edward Snowden que sous l’angle de l’espionnage d’Etat (ce qui, depuis Carnivore, n’est une nouvelle pour personne) et passent sous silence ce qui pourtant devrait être le fond du scandale : l’implication (la complicité active pourrait-on dire) des entreprises US du secteur de la prestation de services Internet dans cette grande aventure barbouzesque. Tout au plus a-t-on pu lire quelques cris et protestations de quelques acteurs du Cloud Computing qui hurlaient à la mort financière, alléguant que la perte de confiance, conséquence des révélations Prism, leur avait déjà fait perdre « des millions de dollars ». Estimations non fondées la plupart du temps, visant essentiellement à faire passer l’intéressé du statut peu reluisant de mouchard à celui plus sympathique de victime. Pour que cette perte financière soit confirmée, car elle est, pour l’heure, aussi virtuelle que les veaux, vaches, cochons et couvées de Perette, il faudra attendre au moins la remise des formulaires boursier 10K en fin d’exercice fiscal 2013, puis à ce moment-là effectuer un contrôle statistique sur l’évolution du C.A. desdites entreprises. Il est donc encore bien trop tôt pour émettre et pouvoir considérer de telles affirmations. Gageons que les révélations Prism n’auront pas fait tressaillir les administrateurs d’Office365, d’iCloud, de Zoho, de Google Apps (même après les susdites affirmations de ses avocats) ou d’Adobe Creative. Les clients des services en ligne resteront fidèles ne serait-ce que pour des raisons de captivité liée à une situation de quasi-monopole. L’espionnage, ça n’existe donc que chez les autres et sur les manchettes des journaux.

« Non, l’espionnage est moralement inacceptable, sachez dire « non » aux sirènes de l’Administration Fédérale, au prétendu prestige de ces réunions secrètes avec le Président Obama » écrit en substance Bruce Schneier sur son blog. « Votre image de marque en prendra nécessairement un coup, car tout finit par se savoir. Si ce n’est pas par le biais des fuites Snowden, se sera grâce au travail d’un autre imprécateur ». Et de conclure « la NSA ne peut demeurer éternellement au-dessus des lois ».

Quelle importance pour les acteurs et consommateurs que nous sommes ? Quasiment aucune. L’électrochoc Snowden n’a fait que remettre en perspective le fait qu’il n’existe plus en nos contrées la moindre trace d’une industrie représentative dans le monde des services IP, de l’édition de logiciels et de systèmes d’exploitation et que l’économie Européenne est pieds et poings liés devant les 5 grands vendeurs US. Le fait de savoir ou pas que ce qui est proposé sur le marché soit faisandé par les services de renseignement nord-américain n’est qu’une question rhétorique : il n’existe aucune solution de rechange comparable en Europe, ce qui nous contraint de subir la situation avec stoïcisme. Le problème se résume donc à cette simple question : accepter d’être espionné ou périr, sans le moindre espoir (à quelques rodomontades près) que la sphère politique puisse soit nous protéger de l’attention soutenue du « grand large », soit encourager le développement de solutions nationales viables.

Des politiques d’ailleurs d’une assourdissante passivité, probablement la fautes aux grandes vacances… ou, comme le suggère notre confrère Olivier Laurelli de Reflets, d’une trop grande discrétion au nom de l’Union Internationale des Spécialistes SigInt. La NSA, aurait révélé un récent article du Guardian, possède également un accès aux fichiers des grands spécialistes du Cloud Télécom et Radio que sont les services secrets Britanniques (rien de très surprenant, on appelle ça l’alliance UKUSA) mais également Danois, Hollandais, Allemands, Espagnols, Italiens et… Français. Une autre série de révélations ayant pour source un autre « ex employé de la NSA », 5.Wayne Madsen. La succession de Snowden est assurée, le complexe de Schmidt n’est pas prêt de disparaître.

2 commentaires

  1. Xavier

    s/Richard/Edward/

    « […] il n’existe plus en nos contrées la moindre trace d’une industrie représentative dans le monde des services IP, de l’édition de logiciels et de systèmes d’exploitation et que l’économie Européenne est pieds et poings liés devant les 5 grands vendeurs US. »

    Et les logiciels libres ?
    L’auto-hébergement (même relatif) ?
    Le chiffrement end-to-end ?

  2. ce qui choque les gens c’est surtout que les dirigeants s’en mêlent du moment que ce n’est pas le cas ils se foutent de ce que les géants du web font de leurs données personnelles

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