Média sociaux : réaction émotive ; despotisme numérique

Actualités - Analyse - Posté on 17 Mai 2013 at 6:55 par Solange Belkhayat-Fuchs

Le hack du mois dernier du compte Twitter de l’agence Associated Press (et les réactions boursières qui s’en sont suivies) semble ne pas conduire du tout dans la direction logique que l’on aurait pu attendre, à savoir une prise de conscience que Twitter n’est pas une source fiable d’information en matière d’outil d’aide à la décision. Bien au contraire, beaucoup souhaiterait voir instaurer une forme de sécurisation des média sociaux, que ce soit par la formation à de « bonnes pratiques » ou par d’autres moyens, pourquoi pas légaux (tel que des lois répressives sur l’usurpation d’identité pouvant englober les alias et pseudonymes sur Internet). Ainsi cet article de DigitalGov, qui offre à ses lecteurs un certain nombre de recettes et conseils de sécurité, et dont le titre est sans équivoque : Le gouvernement doit rapidement réagir au hacking des réseaux sociaux Cela s’appelle chevaucher un tigre, même si l’on sait que le tigre pourra toujours mordre.

Et pourtant, les hacks noirs ne cessent d’être perpétrés. Après l’Associated Press, un autre compte Twitter de médium, celui du Guardian Britannique, tombait sous les coups de l’armée électronique Syrienne. Une information de nos confrères SecurityWatch(http://securitywatch.pcmag.com/hacking/310834-guardian-twitter-account-hacked-by-syrian-activists), qui font remarquer au passage qu’ont également été piratés les comptes de la BBC, de NPR, de CBS, en concluant « Be Skeptical on Twitter ».
Be skeptical… En français, méfiez-vous des fausses sceptiques. Le doute permanent, la remise en cause de l’information diffusée par Internet, est une vieille marotte des médias et des sociologues spécialistes de l’information. Car il y a en chacun de nous (à plus forte raison dans le cœur de chaque trader ou affairiste) un je-ne-sais-quoi de Nathan Mayer Rothschild, le fondateur de la dynastie, qui bâtit, dit-on, sa fortune grâce à une information confidentielle capitale : la défaite de Waterloo. Le mythe du scoop qui rapporte fortune ou qui laisse présager une promotion. Toute la différence entre Rothschild et le goldenboy qui interprète un Twitt en échangeant des titres sur le NYSE, c’est que le premier possédait un solide réseau d’informateurs capable de lui fournir des renseignements recoupés et vérifiés. Les fortunes qui se constituent sur un coup de poker n’existent que dans les mauvais romans, et les montages de révélations bidonnées sur le Net ne se comptent plus. Souvenons-nous, en pleine folie spéculative Linux, du fameux Jesus, la distrib évangéliste (http://www.zdnet.com/jesux-hoax-uncovered-3002074077/) qui a fait plonger tous les média internéto-crédules.

Be skeptical. Le Guardian, encore, qui, début janvier, titrait que Facebook, un autre médium social, perdait plus d’un demi-million d’inscrits par mois au Royaume Uni, affirmation fondée sur une étude du cabinet d’analyse SocialBaker… lequel cabinet rectifie « facebook ne perd pas d’abonnés, il se porte comme un charme et atteint un palier de croissance puisqu’il a déjà conquis 50% de la population Britannique ». Et le Guardian de récidiver en expliquant qu’une baisse de croissance est une forme de perte, que l’attrait de la nouveauté s’est émoussé sur le vieux continent alors qu’il est en forte croissance en Amérique du Sud… Des chiffres et des interprétations qui ne prouvent pas grand-chose, certainement pas qu’un réseau social possède la moindre once de vérité avec des morceaux d’information vérifiée dedans, pas même en ce qui concerne ses statistiques d’utilisation. Les seules sources de données contradictoires pourraient venir des services techniques des réseaux eux-mêmes, ou d’organismes d’études comme SocialBacker qui ont précisément développé des outils d’analyse spécifiques, adaptés aux estimations de fréquentation des sites Web et média sociaux. Lorsque le gagne-pain d’une entreprise est majoritairement attaché à une activité économique, il est sage de prendre compte de ce genre de détail qui friserait le conflit d’intérêt …

Be skeptical. Le New York Times enfonce un peu plus le clou sur la très relative importance des analyses médiamétriques des réseaux sociaux en révélant, mais était-ce un scoop, que certaines célébrités en mal de … célébrité étaient soupçonnées d’acheter du Follower par paquets de dix-mille. En ligne de mire Pepsi, Mercedes-Benz, Louis Vuitton, Dmitri Medvedev, 50 Cent ou Diddy. Cette usine à paraître qu’est Twitter profite à des entreprises satellites (ou parasites) qui ont pour nom FanMeNow, Viral Media Boost ou InterTwitter, des spécialistes de la fabrication rétribuée d’abonnés bidons et de comptes aussi virtuels que viraux.

Les média sociaux, de Facebook à Twitter, sont avant tout des canaux d’échanges de réactions émotives personnelles, de ressentis, et non pas d’information. Des canaux qui régentent le marché avec la logique du chiffre, la force de la statistique. 17 ou 40 millions de contributeurs ne peuvent pas nécessairement avoir tort ? La logique du nombre sur la raison est généralement un des fondements même des mécanismes populistes qui mènent aux dictatures. Dictature numérique et totalement virtuelle, mais dictature quand même, où l’on peut forger une opinion publique en achetant de l’électeur ou de l’opinion, ou l’émotion et le cas particulier provoque des réactions de masse de courte durée que l’on aurait tort de confondre avec de véritables courants d’opinion. Twitter, c’est Mai 68 toutes les 5 minutes… durant 5 minutes. Les médias sociaux ne sont ni bons, ni mauvais, ils sont. Reflets changeants de rien du tout, où il se raconte tout et son contraire sans qu’aucune pondération, aucun filtrage ne puisse être appliqué. Certains hommes politiques, gens du spectacle, industriels, militants de tous bords (des conservateurs Syriens aux Hacktivistes des indignés) l’ont compris et savent utiliser ce qui n’est jamais qu’un tuyau de propagande ou de publicité. Comment, dans ces conditions, considérer cette « cibi de l’internet » comme une source fiable de renseignement, sur lequel pourraient surfer les traders ? Et surtout comment faire en sorte que les personnes chargées de décisions stratégiques puissent un jour apprendre à faire la différence entre une rumeur infondée et une donnée fiable ? Car en attirant l’éclairage des média sur le hack d’un compte Twitter, ces mêmes médias ont peut-être caché dans l’ombre le véritable problème : l’inconséquence et l’irresponsabilité des courtiers …

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