La cyber-guerre est-elle un sport de combat ?

Politique - Stratégie - Posté on 28 Avr 2009 at 8:11 par Solange Belkhayat-Fuchs

azrainmanLa « cyber-guerre » échauffe les esprits et remplit les salles de conférences. Lors de la toute dernière RSA Conference, il était même impossible de ne pas avoir entendu parler du débat : Cyber Warfare: A New Cold War? s’interroge Ned Moran, tandis que Richard Stiennon nous enseigne l’art de Surviving Cyber War. Même les présentations techniques succombent aux charmes des bruits de bottes, Prefix Hijacking: Threat to Applications in the Cloud and Cyber Warfare disserte Ram Keralapura. Victor Ralevich s’étend sur le thème Cyber Warfare: Technology, Law and Ethics… même si associer les mots éthique et guerre relève d’une certaine exagération paradoxale. Ned Moran reprend Is There a Cyber Cold War? … car une guerre froide passe parfois inaperçue, à tel point que seuls quelques gourous sont capables de nous en montrer les signes révélateurs. Randy Sabett, enfin, détaille la situation américaine dans le cadre d’une causerie intitulée Cyber Security for the 44th Presidency – Assessing the CSIS Commission Recommendations, CNCI, and Current U.S. Strategy. Pour ceux qui n’auraient pas bien saisi la situation, tout porte à croire que nous vivons déjà au cœur de la « prochaine cyber-dernière », et que le fracas viral qui tonne autour de nous a pour origine l’œil de Moscou, le fantôme de Pékin, la main gauche de Washington ou toute autre puissance aussi occulte que vindicative.

Pendant ce temps, Markus Ranum accueillait les clients potentiels sur le stand de Tenable.

Mais certains ont la mémoire longue. Et notamment Richard Bejtlich, qui exhume une intervention dudit Ranum faite à l’occasion de la conférence Hack In the Box (http://conference.hitb.org/hitbsecconf2008kl/?page_id=65) de Malaisie en octobre dernier et intitulée « la cyber-guerre, c’est de la crotte de biquet ». Selon Ranum, l’équilibre des forces et le « retour sur investissement » laisseraient penser que seules les grandes nations peuvent se payer le luxe d’une véritable cyberguerre –les plus petites préfèrent l’efficacité d’une attaque suicide nécessitant peu de moyens-. En outre, l’efficacité réelle d’une telle attaque, autrement dit la possibilité de toucher une infrastructure vitale (Scada) n’est ni certaine, ni même réaliste dans bien des cas. Une pensée qui rappelle un peu la vision «terror movie plot » (scénario de série B) chère à Bruce Schneier.

Bejtlich, qui travaille parfois pour le compte du gouvernement US dans le secteur de la défense, voit la chose avec un tout autre éclairage, et répond à Ranum. En marquant toutefois quelques points, notamment en contrant le patron de Tenable lorsque celui explique d’une cyberguerre n’est pas capable d’occuper le terrain après que ses « troupes virales » soient passées à l’action. Et Bejtlich de répliquer que c’est également le cas d’un corps d’armée particulier : l’aviation. Les coups portés sont des attaques en profondeur, comparables à celles d’un commando, et le fait de ne pas occuper le terrain sur le champ n’est pas la preuve d’un échec.

Qui détient la vérité ? Ranum, Bejtlich… ou aucun des deux ? Car il existe une troisième façon de voir les cyber-conflits, plus Européenne, plus « vécue » aussi. Celle qui assimile ce genre de combat à une arme psychologique, à une action de propagande. Car la cyber-guerre est aussi virtuelle que la « cinquième colonne » des années 40, aussi pernicieuse qu’une dépêche d’Ems. Avec très peu de moyen –une série de sondes réseau, quelques exploits lancés contre des cibles aussi précises qu’improbables à détruire- elle monopolise les efforts de celui qui se croit visé, tend à détourner son attention, tout en maintenant une pression psychologique certaine sur les populations. Plutôt que de compter les points en termes de centrales électriques virusées, elle remporte la victoire en affectant, même de façon imperceptible, le moral de l’adversaire ou ses efforts logistiques. Toujours, d’ailleurs, avec les leviers classiques de la peur, d’autant plus prégnante que son origine est incertaine. La cyber-guerre ne serait donc par prête de détrôner les charniers de Craonne, et l’on entendra encore chantonner quelques siècles durant « Moi mon colon, celle que j’préfère, c’est la guerr’de 14-18 »

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