Maux Iraniens et lettres Persanes

Politique - Stratégie - Posté on 29 Mar 2010 at 10:02 par Solange Belkhayat-Fuchs

Il serait passé presque inaperçu, ce communiqué de l’UIT. Presque car de Reuter au Point, en passant par 01 « Men » et autres confrères de la PQR, tous se sont contentés d’effectuer un « couper-coller » du bulletin mentionné. Tous sauf peut-être nos confrères de Libé (http://www.liberation.fr/monde/0101626139-l-iran-brouille-l-ecoute-des-medias-europeens) qui, eux, ont rédigé un véritable article, avec du clavier, des neurones et une référence éculée à Luc Etienne.

Car derrière cette « vive protestation » de l’UIT se cache une formidable opération de censure de tous les médias occidentaux susceptibles d’être reçus en Iran. Pour peu, en lisant le papier de Jean-Pierre Perrin, l’on se croirait revenu à l’époque de la « guerre des ondes », celle de la 39-45, bien sûr, avec ses brouillages, ses « émetteurs de campagne », ses intoxications et ses coups tordus (http://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Himmler). Celle ensuite de la guerre froide, qui vit fleurir les grands broadcasts de propagande (Voice of America, Radio Moscou, Radio Pékin, Radio Tirana, RFI) et l’invention d’une forme moderne de combat psychologique. Aujourd’hui, les messages idéologiques et la dialectique primitive des dictatures des années 60 ne perdurent plus que dans quelques états (dont l’Iran) combattus, noyés par la profusion de chaines d’information diffusées par satellite. C’est la guerre de la « couche OSI numéro 1 », celle chargée du transport et qui entre dans les infrastructures Scada.

Si le Gouvernement Français en général et Eutelsat en particulier protestent contre les brouillages Iranien de leurs émissions de télévision par satellite, c’est plus pour des raisons de politique internationale que pour de vagues considérations sur l’audimat et les recettes publicitaires dans les pays du moyen orient. Qui maîtrise les moyens de transmission peut influencer l’opinion publique.

Alors, acte de fermeté de la part de l’UIT ? en langage technocratique, l’avis émis est indiscutablement insistant. Mais sa formulation est empreinte de précautions de langage qui prouvent combien l’UIT ne croit pas un instant à la crainte qu’elle tente d’inspirer. « The Radio Regulations Board urged the Administration of Iran to continue its effort in locating the source of interference and to eliminate it as a matter of the highest priority ». En d’autres termes, l’UIT demande à l’Etat Iranien d’enquêter sur des éventuels perturbateurs situés à l’intérieur de ses frontières, ce à quoi l’Iran s’est déjà empressé de répondre que ses services techniques ne manqueront pas de réagir. Le gouvernement Armaninejad n’est pas une seule fois accusé directement. Or, dans une dictature ou une « démocratie musclée », s’il est une chose qui est étroitement surveillée, c’est bien le spectre radioélectrique. Il faut, depuis l’invention du goniomètre instantané de l’ingénieur Deloraine, (1938), moins d’un centième de seconde pour situer le gisement d’un émetteur pirate. Et il serait vraiment étonnant que les services de sécurité Iraniens ne possèdent pas cette technologie vieille de 72 ans. Une technologie entretenue par tous les gouvernements de la planète, et qui permet à chacun de faire taire tout émetteur pirate dans un délai maximum d’une demi-journée, transports et démarches judiciaires y comprises. L’hypothèse d’un émetteur illégal est donc à écarter, seuls les services techniques Iraniens sont donc capables de posséder les brouilleurs de fréquence mentionnés par l’UIT.

La République Islamique Iranienne illustre parfaitement la hantise des régimes politiques autocratiques : La liberté d’accès à l’information, le refus d’une pensée unique. Les armes utilisées pour combattre ces germes de la démocratie sont de deux ordres, législatifs et techniques. Dans un premier temps, une série de lois est édictée, prétextant la défense des mineurs ou de la religion, la protection d’un petit groupe d’industriels lésés par quelques fraudeurs, l’impudeur des contenus déviants que l’on peut trouver sur les chaines de télévision ou Internet, le risque d’y voir s’infiltrer un cyber-ennemi… Dangers présentés généralement par des discours forts et anxiogènes, dressant le spectre des armées de violeurs ou d’impies poseurs de bombes. Une fois ces lois adoptées sous prétexte de principes moraux inattaquables, peut débuter la première phase, celle de la pénalisation des « auditeurs » de toutes sortes –téléspectateurs, internautes- qui afficheraient leur opposition au régime par le simple fait d’écouter un canal d’information étranger. La censure devient double, elle coupe la source d’information, elle muselle par la menace les protestataires qui verraient là une atteinte à la liberté d’expression. Deuxième acte, l’installation d’une infrastructure de filtrage, (limitation ou interdiction de tel ou tel protocole) imposée aux fournisseurs d’accès et opérateurs télécom locaux, le tout accompagné de mesures techniques de blocage (Brouillage,) lorsque ledit opérateur n’est pas accessible sur le territoire. Il n’en faut pas plus. L’information est canalisée dans le lit bordé imposé par le gouvernement en place, les contrevenants sont sous les verrous, et la formule de Montesquieu prend alors un tout autre sens « Ah! ah! monsieur est Persan? C’est une chose bien extraordinaire! Comment peut-on être Persan? ». Surtout en 2010.

Fort heureusement,l’Iran est un pays géographiquement, politiquement et structurellement isolé. Des bribes de données parviennent encore à filtrer, tantôt par les téléphones portables, tantôt par les émetteurs radio-télévision frontaliers, tantôt sous le couvert de protocoles Web2.0 spécifiques, tel celui de Twitter. Des fuites qui seraient bien plus difficile à entretenir si l’Iran avait fait partie d’une « Communauté Economique ExtraPersane » par exemple, chaque pays limitrophe isolant un peu plus les frontières, colmatant les plus petits tuyaux par lesquels percolent les bruits du monde extérieur. Isolation d’autant plus efficace que, pour imaginer cette Communauté Economique Extrapersane, il faudrait nécessairement un exécutif situé au dessus du pouvoir de chaque Etat-Nation, et si possible très éloigné du suffrage universel afin de mieux être attentif aux intérêts directs des Sultans et de leurs Janissaires. Mais cette Perse là n’existe pas. C’est la Perse d’un conte noir, celle ou les citoyens des pays d’Orient ne pourraient plus s’exprimer autrement que par des messages chiffrés, craindraient la présence de logiciels-mouchards que chaque internaute devait acheter et installer lui-même, sous la pression des séides du tyran en place. Ce serait une Perse d’avant les Lumières, qui, sous prétexte de préserver le secret de fabrication des tapis de soie bleue, interdirait non pas les imitations de tapis, mais condamnerait l’usage des rouleaux de carton qui servent à faciliter le transport desdits tapis… ainsi que d’autres biens. Ce serait une Perse ou les Gardiens du Droit Moral issus des écoles politiques auraient plus de pouvoir que les juges eux-mêmes, à tel point qu’ils pourraient lever l’impôt dans les campagnes sans même nécessiter le recours aux institutions juridiques. Fort heureusement, une Perse qui ne peut exister.

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