Pourquoi pirater un Boeing 757 ?

Actualités - Hack - Posté on 13 Nov 2017 at 4:56 par Solange Belkhayat-Fuchs

Plus de 40 000 articles et notes de blogs relatant une prétendue série de hacks organisée par le Department of Homeland Security et visant un avion de ligne Boeing 757. 40 000 mentions mais très peu de doutes soulevés, y compris par nos confrères de la presse spécialisée.

« Prétendue série de hacks», puisque strictement aucune information technique ne vient étayer ces affirmations, et rien non plus ne vient définir ces « hacks ». Car, de l’intrusion à la fuite d’information, de la simple lecture d’un bus de données à l’injection de commande pouvant expédier un avion au « tapis », il existe une foultitude de possibilités et de criticité. Tout au plus sait-on que cette campagne de pentesting visait un aéronef techniquement ancien, et que l’ensemble des tests ont reposé sur des vulnérabilités des systèmes radio. Le reste n’est que peur, incertitude, doute.

Le 757 est un avion de transport des années 80. Sa production a cessé en 2004, et la grande majorité des équipements de contrôle de vol et de communication, à quelques « retrofits » près, datent de cette époque. Epoque à laquelle l’usage des systèmes d’analyse radio (les SDR, ou radios logicielles) n’étaient l’apanage que d’un très faible nombre de personnes : militaires, scientifiques, quelques chercheurs dans les laboratoires des opérateurs…

Il faudra attendre 2012 et le « hack Realtek » du groupe Osmocom pour que l’écoute radio large bande, l’analyse des signaux et des types de modulation et le fuzzing appliqué aux équipements électromagnétiques deviennent à la mode dans le milieu hacker… et encore, très timidement. A cet époque, une grande majorité des systèmes d’aide à la navigation installés sur le 757 avaient déjà 20 ans. Réalisé en 2016, le pentesting du DHS s’attaquait donc à un véhicule vieux de plus de 35 ans. Authentifications des périphériques d’avionique quasiment inexistantes, protocoles simples et non chiffrés, électronique embarquée dont on exigeait plus une fiabilité de fonctionnement qu’une sécurité des données traitées, apparition de technologies naissantes et devant faire leurs preuves dans le domaine des transmissions de commandes… autant de « low hanging fruits » de la SSI assez simples à cueillir avec les outils du XXIème siècle.

Un autre « non-dit » vient entourer le « fud » qui recouvre ce hack légendaire (au sens premier du terme) : avec quels équipements, à quelle distance, avec quelle puissance ces tests ont-ils été menés ? Car il existe une légère différence entre un hacking « en chambre », calmement piloté depuis un bureau situé dans un périmètre de 10 à 50 mètres autour de l’appareil, et un véritable « remote » visant un appareil volant à 30 000 pieds à une vitesse de 400 nœuds. Même en phase critique de décollage ou atterrissage, l’environnement électromagnétique d’un aéroport rend toute discrimination (et ciblage précis) excessivement compliqué. Que celui qui ne s’est jamais perdu dans le filtrage d’une avalanche de transformées de Fourier nous jette le premier Tchebychev.

Tout cela ne veut pas nécessairement dire que l’opération de propagande du DHS soit vaine. Elle vise prioritairement à systématiser l’intégration d’un « owasp de l’informatique embarquée » de l’aviation civile, qui ne dépende pas seulement des constructeurs et équipementiers, comme c’est le cas encore de nos jours dans le secteur automobile. Et ce, malgré un culte de la sécurité et les efforts permanents qui sont le propre de tous les fabricants de machines volantes.

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