Remplacer les DLP par une loi …

Juridique - Législation - Posté on 24 Jan 2011 at 10:42 par Solange Belkhayat-Fuchs

C’est avec un humanisme éclairé et une profonde connaissance tant sociologique que technique des droits de la presse et autres organes d’information que 132 députés, conduits par Monsieur Bernard Carayon (UMP) ont déposé une proposition de loi capable de résoudre immédiatement tous les problèmes de fuite d’information. Le principe de fonctionnement en est très simple : il suffit de condamner toute personne ayant tenté (sans même nécessairement y parvenir) de « s’approprier, de conserver, de reproduire ou de porter à la connaissance d’un tiers non autorisé une information à caractère économique protégée ». La condamnation est celle « prévue par l’article 314-1 du code pénal »

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Le cadre stricte et objectif de ce qui constitue une information à caractère économique protégée -en termes vulgaires, un secret d’entreprise de droit privé- étant défini par celui qui détient ladite information, nos 132 députés ont du même coup réussi à résoudre un autre problème tout aussi dangereux que celui de l’espionnage industriel : celui de l’insupportable liberté de la presse en général et, par la même occasion, de tous les blogs et sites web d’informations technologiques, techniques, économiques, stratégiques ou financiers. Dans le cas où l’auteur de ces fuites se cacherait derrière un pseudonyme et le titre d’une publication, la loi prévoit que « « Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables des infractions définies par le présent article, dans les conditions prévues à l’article 121-2. »

Précisons que l’article 314-1 du code pénal est celui qui condamne les personnes responsables d’un abus de confiance et les maître-chanteurs, et coûte la bagatelle de trois ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende.

C’est là une excellente nouvelle que cette nouvelle-là. Les journalistes devront enfin nécessairement respecter les « embargos » imposés unilatéralement par les directions marketing des sociétés. Fini, les « scoop » de l’iPhone 4 perdu dans un bar par un ingénieur distrait… tant que la chose est déclarée « secrète » par la Haute Direction –qui détient alors de facto les pouvoirs d’un juge-, nul gratte papier ne pourra en parler. Mieux encore, en condamnant de la même peine toute personne ayant « tenté de s’approprier une information à caractère économique protégée », le droit d’enquête de ces folliculaires un peu trop curieux devient lui aussi répréhensible. Qu’un fonctionnaire perde une clef USB, et le civisme, tenu par le bras armé de la Justice, persuadera tout bon citoyen d’en apporter le contenu au commissariat le plus proche sans même en regarder son contenu. Au prix du déploiement des outils DLP, des politiques de sensibilisation, des procédures lourdes d’authentification et de hiérarchisation d’accès aux données stratégiques d’entreprise, on va y gagner, la chose est absolument certaine.

Certains esprits chagrins pourraient objecter que la notion même « d’information économique protégée »( Sont qualifiées d’informations à caractère économique protégées, les informations ne constituant pas des connaissances générales librement accessibles par le public) est un terme bien trop flou pouvant conduire à tous les excès possibles. Ce n’est là qu’un détail qui ne tient pas compte de l’ouverture d’esprit et de la sagesse des dirigeants d’entreprises. Une « bonne » information est une information rédigée par un Service de Presse, donc officiellement publique. Toute autre opinion, information, publication ou tentative de recherche de renseignements sortant de ce qui sort d’un Service de Presse peut nuire au développement économique des entreprises et devient du coup passible de poursuites au titre de l’article 134-1 anti-maîtres-chanteurs, escrocs et aigrefins.

Ah, le bon temps que ce siècle de fer. « Microsoft envisage de développer une nouvelle version de Windows » : 3 ans de prison. « Adobe lancera un nouveau logiciel possédant presque autant de trous de sécurité que de lignes de code » : les galères et 375 000 Euros d’amende. « Wikileaks nous apprend tout sur les ventes d’armes d’une grande entreprise nationale et un pays du Moyen Orient » : le peloton pour les supporters d’Assange. « Un employé de la HSBC vole des données financières confidentielle en Suisse et les remet à la justice Française » : le bagne pour le Garde des Sceaux. Ah… Effectivement, dans certains cas, il faudra prévoir quelques aménagements et quelques clauses d’immunité pour raisons exceptionnelles.

8 commentaires

  1. binitials

    Permettez moi mais : Quelle naiveté ….

    « Ce que vous décrivez s’appelle une oligarchie et constitue la négation même de la démocratie. C’est ce qui se passe dans les pays de l’ex-URSS, partiellement en Italie, mais, j’ose l’espérer, pas encore en notre pays. »

    Avez vous lu les traités EUropéens ? Ca fait longtemps que la démocratie n’existe plus. EN EUrope les lois sont faites et votées par l’executif, le parlement n’ayant aucun autre pouvoir que de valider les textes et donner l’impression d’un soutien.

    Aucune offre politique nouvelle ne peut apparaitre en France … Les lois Balladur ont fermé tout robinet de financement aux partis autres que sur la base du nombre de députés. Ce qui veut dire que seuls les partis qui ont des députés en Place peuvent se financer, le reste ne peut pas exister sauf à conclure un accord avec les grands partis …

    Plus de 50% des hommes politiques sont issus de la fonction publique alors que cette fonction publique représente 5 millions de personnes sur 60 …

    Nous vivons dans une oligarchie de fonctionnaires, ils ont le pouvoir endettent la France jusqu’à l’insupportable, financent leurs privilèges et ne connaissent l’économie qu’au travers des grands groupes multinationaux qui n’ont plus rien de français.

    Ouvrez les yeux, la France n’est plus une démocratie. Il n’exiqte que le socialisme qui plaide sans cesse pour la croissance de l’état forcément tous les hommes politiques vivent de cet état. Vous balancent leur ignorance et leur nullité car ils rejettent tout ce qui pourrait leur faire de l’ombre. 

    Les socialistes de gauche et de droite tiennent l’état. Lisez Milton Friedman « capitalisme et liberté » c’est édifiant. Il décrit ce qu’est un système politique privé de liberté démocratique et vous découvrirez que c’est ce que nous sommes en train de vivre !

  2. marc

    @ Maurice B.
    Bonjour
    Je comprends votre point de vue, mais y trouve à redire sur deux points au moins. A commencer par le fait que nos députés aient agi sous la pression (ce qui est fort peu probable) et que cette pression soit du fait de chefs d’entreprise, ce qui est bien plus inquiétant, car cela signifierait qu’il existe une collusion objective entre le politique (chargé du régalien et ayant une obligation d’indépendance et d’impartialité) et le monde des affaires. Ce que vous décrivez s’appelle une oligarchie et constitue la négation même de la démocratie. C’est ce qui se passe dans les pays de l’ex-URSS, partiellement en Italie, mais, j’ose l’espérer, pas encore en notre pays.
    Ergo, les députés l’on fait en leur nom propre.
    J’ajouterais qu’en France, un blogueur ne peut en aucun cas être anonyme, compte tenu des impératifs d’identification dont sont tenus ET les hébergeurs ET les fournisseurs d’accès. Si l’imprécateur que vous redoutez utilise un hébergement à l’étranger, il échappe à la juridiction Française et par là même rend ce projet de loi inutile et stérile. Ce que comprendront très rapidement ceux qui auraient précisément l’intention de publier des indiscrétions et qui souhaiteraient échapper aux foudres de la justice. Cela se pratiquait déjà sous l’ancien régime et a fait la fortune des imprimeurs de Hollande.
    En revanche, un organe de presse (en ligne ou non) est une entreprise, avec un siège social, une rédaction, un hébergeur et-ou un imprimeur identifié, une impossibilité de changer de fournisseur au gré des humeurs de chacun (c’est possible, mais l’opération est d’un tout autre niveau de complexité qu’un simple transfert de blog) et surtout un responsable légal en la personne du directeur de publication. La presse est donc directement visée, bien plus que les blogueurs.
    En imposant en France une loi aussi vaguement définie qu’elle peut servir à poursuivre n’importe qui sur la simple présomption d’enquête, ces 132 députés favorisent activement l’enterrement de première classe d’une presse de métier, libre et indépendante, et favorisent le développement de francs-tireurs de la divulgation sans recul et sans analyse à partir de serveurs situés en dehors de notre territoire. Ce Far-West de l’annonce planétaire usant de sources anonymes pourrait donc coûter bien plus cher aux chefs d’entreprise que vous ne le redoutez. Jamais un Hugo n’a été aussi influent qu’à partir du moment où il s’est mis à écrire de Jersey, et çà, aucun député, compte tenu de l’intelligence et de la culture qui les caractérise, n’a pu l’ignorer.
    Ergo, les députés l’ont fait en connaissance de cause. Dans quel but ? je n’ai ni l’intelligence, ni la culture, ni la profondeur de vue historique d’un député pour le deviner.
    Marc

  3. maurice b.

    Ls 132 députés (principalement issus de l’UMP) qui portent ce projet de loi et sur qui vous jetez l’opprobe, ne le font pas en leur nom propre ou par pression de l’Elysée mais répondent à des demandes pressantes de chefs d’entreprise.
    Il n’est pas normal que les forces vives de la vie économique, ceux qui font vivre le pays en stimulant la richesse et l’emploi, soit victimes d’indélicatesses de bloggeurs anonymes qui cherchent à nuire soit en se mèlant de manière indiscrète de ce qui ne les regarde pas soit par jalousie face à leur réussite soit par simple plaisir du dénigrement.

  4. C’est ……. Révoltant. D’une stupidité sans nom. Je ne me fais pas trop de soucis sur le non-passage de cette loi, mais que 132 députés aient eu l’indécence de soutenir ce projet me semble … exécrable. En tout cas, merci de nous avoir fait partager cette info.

  5. Le droit de la presse vient d’en prendre un coup, le droit des internautes… aucun pour ceux qui s’y connaissent un minimum. Un hébergement en dehors de la France, un nom de domaine en .com, .org ou .42, un accès VPN et on est tranquille… Enfin tout ça c’est bien sûr sans compter la future mandale du Conseil Constitutionnel et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme 

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