Roland Moreno : Un adieu, un sacré bordel, des cartes, l’avenir, des puces et au centre, le modem

Actualités - Personnage - Posté on 05 Mai 2012 at 1:19 par Solange Belkhayat-Fuchs

Roland Moreno nous a quitté cette semaine, bien trop tôt (il n’avait que 66 ans), laissant dans son sillage un cortège d’hommages tirés de Wikipedia, d’éditos pensifs et poussifs sur « le génie qui inventa la carte à puce », ou sur l’auteur de la « Théorie du Bordel Ambiant » qui apprit à la gente geekesque ce qu’était un sophisme 2300 ans après Socrate*.

Pour l’équipe de CNIS Mag, Roland Moreno fut un véritable catalyseur, l’origine d’une vocation. Cela nous ramène au début des années 90, à l’époque où la plupart des lecteurs de la presse micro « grand public » étaient généralement capable de lire la ROM désassemblée de leurs propres machines, et n’attendaient pas de leurs journaux favoris le énième article sur l’utilité d’une appliquette récupérée sur un Market quelconque. Internet n’existait que pour quelques universitaires et entreprises du monde Unixien, et les geek, nerds, dorks et autres mordus se plongeaient à claviers perdus dans l’univers virtuel des BBS, alias les « microserveurs »… qui n’étaient absolument pas l’ancêtre d’Internet. Gufi, Ouf, Suptel, Lil’s BBS, le savoir en ligne s’échangeait au prix de la minute de communication, le plus souvent en 300 ou 1200 bauds grâce à des modems frisant généralement un demi-salaire mensuel.

Flashback.

Roland Moreno, en ces temps anciens, commercialise des modems, et notamment le fameux Tristan (tri-standard : V21/V22/V23), lequel peut être associé à un logiciel BBS tournant sur plateforme Apple II. Ce logiciel est né d’une francisation et d’une « légère » modification d’un programme originaire du domaine public venu d’Outre Atlantique, puis revendu par l’entreprise de Roland Moreno, Hello Informatique. Toujours à cette époque, l’un de ces BBS tourne en permanence dans les bureaux de l’Ordinateur Individuel (NdlC : l’auteur de cet hommage y a sévi quelques temps …). Un soir de bouclage particulièrement pénible, le DuoDrive, lecteur de disquettes de notre « II+ », émet son ractacktaktak caractéristique. Deux heure du matin… les téléchargeurs-fous des « Jeux de l’OI » sont-ils insomniaques ? Par curiosité, nous jetons un œil sur l’écran de la machine, histoire de comprendre de quoi peut bien se nourrir un primo-informatisé noctambule. La curiosité fait rapidement place à l’inquiétude lorsque le « client » parvient à sortir de l’environnement BBS en activant une backdoor, et commence à farfouiller dans la mémoire de stockage de l’ordinateur (128 Ko tout de même !). Blocage de l’intrus, intervention au clavier pour demander à ce quidam ce qui motive sa cyber-perquisition : Roland Moreno (car c’est lui) nous avoue qu’il chasse ainsi les copies pirates de son logiciel, lequel ne peut être activé qu’après échange d’un « magic number » délivré seulement par les modems de la marque Hello Informatique.

Il faut préciser qu’à l’époque, r00ter une machine sans l’autorisation de son propriétaire n’appartenait pas au domaine du pensable : chaque usager était un hacker, mais un hacker responsable et respectueux du bien d’autrui.

C’est donc grâce à Roland Moreno (et à ses explications techniques qui furent données par la suite avec gentillesse et humour) que nous pûmes sortir notre premier titre sur un « remote exploit » qui n’était pas franchement à l’avantage de la société Hello. Ce qui plus tard nous a conduits à nous passionner pour ces usages hors norme des réseaux de machines. Moreno, en jouant la carte de la transparence et du « full disclo », avait compris que faute avouée et corrigée est rapidement pardonnée. A la fois hacker, chef d’entreprise, agitateur d’idée, un peu pirate, littéraire à tendance technoïde adorant les jeux de mots Oulipistes et les blague Goscinnyennes, on se souviendra de Roland Moreno comme d’un Pic de la Mirandole moderne… et d’un précurseur dans la catégorie hippisme à la mode de Troie.

NdlC Note de la Correctrice : La connotation péjorative de l’appellation « sophiste » est un héritage de la dialectique socratique/platonicienne : diaboliser et discréditer son adversaire lorsque l’on est à court d’arguments logiques. Les sophistes étaient pourtant des gens très biens, parmi lesquels on trouve pas mal d’épicuriens.

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